Décarbonation N°3

#2 - Transport aérien : embarquement pour le net zéro

21.11.22

Le transport aérien n'a pas attendu que la décarbonation devienne une préoccupation mondiale liée à l'urgence climatique pour s'engager sur le chemin de l'efficacité énergétique. Pour autant, l'attente en matière de connectivité des populations en Asie et à une échéance plus lointaine en Afrique, appelle une réponse appropriée afin que le développement du transport aérien puisse se poursuivre sans accroissement des émissions carbone comme y aspire l'Europe sociétalement.

En effet, d'ici 2050, le transport aérien devrait concerner plus de 10 milliards de passagers sur près de 22 000 milliards de kilomètres parcourus chaque année. Sans changement dans les technologies déployées et les opérations aéroportuaires, ce trafic générerait près de deux milliards de tonnes de CO2.

La décarbonation dans l'ADN du transport aérien

En 2019, le secteur de l'aviation a produit 915 millions de tonnes de CO2, soit environ 2,5% des émissions mondiales de CO2 et seulement 11% des émissions de CO2 liées au secteur des transports.

Mais dans un secteur où le budget carburant représente environ le quart des dépenses de fonctionnement d'une compagnie aérienne, la décarbonation s'est déjà imposée comme une priorité depuis longtemps. La consommation de carburant par siège a ainsi diminué de 82% depuis les années 60.

Au cours des dix dernières années, les compagnies aériennes ont beaucoup investi pour acquérir des avions plus efficaces ; pour sa part, le secteur aérospatial a investi plus de 150 milliards de dollars dans la recherche et le développement pour accroître l'efficacité énergétique ; les émissions de CO2 par siège et par kilomètre parcouru ont diminué de 2,9% par an sur la période 1990-2019.

Face à l'urgence climatique, les acteurs de la filière aéronautique ont toutefois pleinement conscience de la nécessité d'accélérer la transition du secteur vers un mode de transport plus respectueux de l'environnement comme en témoigne l'investissement d'Airbus dans le fonds Hy24, dédié aux infrastructures d'hydrogène propre ou l'inauguration par Safran d'un pôle d'excellence en fabrication additive, le Safran Additive Manufacturing Campus (SAMC).

Une feuille de route mondiale

Alors que 60% des émissions de CO2 sont le fait de vols internationaux, la feuille de route du secteur ne peut se concevoir que partagée par les différents acteurs et dans un périmètre mondial.

En octobre 2021, l'industrie aéronautique, regroupée au sein de l'ATAG (1), s'est engagée à atteindre le net zéro, en d'autres termes zéro émission nette de carbone en 2050, avec l'aide des gouvernements, du secteur de l'énergie et des avionneurs. L'ATAG est une association à but non lucratif qui compte une quarantaine de membres dans le monde représentant l'ensemble des acteurs du transport aérien : les aéroports avec l'Airports Council International (ACI), les avionneurs avec Airbus, ATR, Boeing, les motoristes avec CFM International, GE, Pratt & Whitney, Rolls-Royce et Safran, les prestataires de services de la navigation aérienne avec la Civil Air Navigation Services Organization (CANSO), et les compagnies aériennes avec l'Association du transport aérien international (IATA). Les différents métiers du secteur aéronautique étant parties prenantes de cette initiative, les réponses proposées couvrent un panel très large de solutions développées à l'échelle mondiale et sur toute la chaîne de valeur d'une industrie.

Les leviers de la décarbonation

Certes, le remplacement de la flotte existante par des appareils plus performants tels que la génération des Neo chez Airbus ou des Max chez Boeing permettra de gagner en efficacité énergétique, mais des leviers supplémentaires seront nécessaires pour atteindre les objectifs fixés par l'ATAG : Technologies de rupture, Opérations & Infrastructures, carburants durables (SAF), systèmes de compensation.

À chaque nouvelle génération d'appareils, une économie de carburant de l'ordre de 20% a pu être réalisée mais l'ampleur des enjeux appelle des solutions de rupture. Le développement d'avions électriques et hybrides électriques dans la catégorie des appareils de moins de 100 places, dont l'entrée en service pourrait intervenir en 2035/2040, pourrait apporter une solution sur les marchés du transport régional ou court-courrier. Plus de 400 types d'appareils sont actuellement à l'étude parmi lesquels le Cassio 330 de VoltAero, l'Integral d'Aura Aero, l'eFlyer de Bye Aerospace ou encore l'eDA40 de Diamond Aircraft.

Sur le moyen-courrier, l'introduction de moteurs open-rotor (2)  et le recours à l'hydrogène liquide sont envisagés. Airbus développe ainsi les projets ZEROe, trois concepts d'avions hybrides à hydrogène, alimentés par la combustion d'hydrogène via des moteurs à turbine à gaz modifiés. L'hydrogène liquide y est utilisé comme combustible.

La technologie pourrait contribuer à hauteur de 12 à 34% à la réduction des émissions carbone.

SAFRAN : MOTEUR OPEN ROTOR

Propulsion thermique ultra-optimisee : programme RISE
Source : medialibrary.safran-group.com/Photos/media

Le recours aux carburants durables pourrait également contribuer très significativement à la réduction de l'empreinte carbone. Plus de 365 000 vols ont déjà été effectués, utilisant des carburants durables. Les moteurs actuels sont d'ailleurs compatibles avec ces carburants. À date, ils sont autorisés à utiliser 50% de SAF mais pourraient en réalité fonctionner avec 100% de carburants durables. Le véritable frein à l'utilisation de ces carburants dans l'aviation n'est pas d'ordre technologique ni même économique même s'ils sont à ce jour deux à quatre fois plus chers que le kérosène utilisé jusqu'à présent. Il réside dans la disponibilité en suffisance de SAF. En effet, d'après les estimations de l'ATAG, l'aviation aura besoin de 330 à 445 millions de tonnes de SAF par an d'ici 2050.

Le recours aux SAF pourrait contribuer à réduire les émissions de 53% à 71% selon les scénarios envisagés.

L'aménagement des infrastructures au sol et la révision des opérations d'assistance aéroportuaires offrent également des opportunités en matière de décarbonation qui pourraient représenter de l'ordre de 10% des réductions d'émissions carbone. L'électrification des véhicules d'assistance au sol, des moteurs auxiliaires utilisés pour le roulage, une gestion optimisée du remplissage des appareils et de leurs trajectoires de vol sont autant de sujets sur lesquels se penche actuellement la filière aéronautique. Dans ce domaine, la collaboration entre les différents acteurs sera essentielle pour parvenir à une efficacité maximale.

Enfin, l'aviation devra très probablement avoir recours à des mesures de compensation carbone à court terme pour stabiliser les émissions de CO2 en attendant la montée en puissance des énergies alternatives et la mise en œuvre de nouvelles technologies dont l'impact ne devrait se faire sentir qu'à partir de 2035. Il est probable que les véhicules de compensation proposés à horizon 2050 seront différents de ceux envisageables aujourd'hui, dans la mesure où la demande d'autres secteurs est également en croissance.

Une industrie coordonnée

La capacité de l'industrie aéronautique à atteindre ses objectifs de décarbonation va bénéficier de l'organisation « naturelle » de la filière, historiquement très structurée autour d'un nombre limité d'acteurs. Par ailleurs, de par la nature même de son activité, l'aéronautique est habituée à traiter les problèmes à l'échelle du globe. Dès qu'elles auront été validées techniquement, les solutions seront donc mondiales, garantie d'efficacité et d'homogénéité quelle que soit la maturité des attentes sociétales en matière de décarbonation.

 

Notes :
(1) Air Transport Action Group
(2) Les moteurs open-rotor ont un design différent des turboréacteurs actuels car le doublet d'hélices contrarotatives se trouve à l'air libre et non dans un carénage, ce qui augmente leur surface efficace. Leur diamètre est plus de deux fois supérieur à celui des turboréacteurs actuels (soit près de 4,50 m).