La Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) fixe pour l’industrie en France des objectifs de réduction des émissions de CO2 de -35% en 2030 et -81% en 2050, par rapport à leur niveau de 2015. Parmi les neuf secteurs industriels concernés, le ciment représente 12,5% des émissions de gaz à effet de serre de l’industrie et 10 Mt de CO2 par an, pour une production annuelle de 16,5 Mt de ciment.
Pour le ciment, les 2/3 des émissions de CO2 résultent de la réaction chimique de calcination du calcaire nécessaire à sa fabrication
Pour fabriquer du ciment, un mélange de 80% de calcaire et de 20% d'argile est broyé avant d'être cuit dans un four à 1 450°C. Cette cuisson génère l'essentiel des émissions d'une cimenterie, avec 1/3 dû à la consommation énergétique et 2/3 dû à la réaction chimique de calcination transformant le calcaire (1) en chaux (2) et en CO2. Issu de cette cuisson, le clinker est ensuite broyé avec divers produits additifs pour produire le ciment. Le clinker donne au ciment ses propriétés de liant hydraulique. Ainsi, lorsqu'on mélange de l'eau, du sable, des agrégats et du ciment, celui-ci réagit avec l'eau et durcit en collant le sable et les agrégats, pour former du béton.
Le scénario de référence de l’ADEME repose sur une baisse de la demande et cinq leviers pour décarboner l’industrie du ciment
Dans son scénario de référence, l'ADEME estime que la demande de ciment d'ici à 2050 augmenterait de 5% en suivant simplement la hausse démographique, mais qu'elle baisserait finalement de 15% avec notamment des contraintes réglementaires sur la construction neuve de logements. En dehors de cette hypothèse exogène, l'ADEME identifie cinq leviers afin de décarboner l'industrie du ciment :
• Upgrading : rénovation des cimenteries permettant d'en améliorer l'efficacité énergétique
• Mix thermique : substitution des combustibles fossiles par des combustibles moins carbonés avec une fraction de biomasse
• Taux de clinker : réduction du taux de clinker dans le ciment, en le remplaçant par des composants émettant moins de CO2
• Incrémental : mise en œuvre d'améliorations techniques dans la production de ciment
• Capture et stockage du carbone (CSC) : technologie à déployer pour capturer et stocker le CO2 émis par une cimenterie
Dans le scénario de référence de l'ADEME, seul l'objectif de réduction des émissions de CO2 de la SNBC pour 2030 est atteint
Parmi les leviers de décarbonation mis en œuvre, la réduction du taux de clinker joue un rôle important. Il s'agit de remplacer le clinker par des constituants secondaires moins émissifs, tels que le laitier de haut-fourneau (coproduit de l'industrie sidérurgique) et les cendres volantes (provenant des centrales à charbon). Cependant, ces substituts du clinker sont déjà utilisés et leur approvisionnement devrait même baisser. En effet, le laitier de haut-fourneau devrait subir les pressions à la baisse affectant la sidérurgie (secteur également soumis aux objectifs de réduction des émissions de CO2), tandis que les cendres volantes devraient progressivement disparaître avec les centrales à charbon en Europe en 2040.
En fait, la baisse du taux de clinker se base sur un recours croissant à des argiles calcinées, qui sont actuellement en cours d'étude et de normalisation. Par rapport au clinker, la calcination de ces argiles consomme autant d'énergie, mais sans la réaction chimique libérant du CO2, ce qui permet d'en abaisser les émissions. L'utilisation croissante de ces argiles calcinées devrait ainsi permettre de faire baisser le taux de clinker de 78% en 2018 à 58% en 2050.
La capture et stockage du carbone (CSC) représente l'autre levier important de la décarbonation du ciment. Le scénario de l'ADEME suppose que ces techniques, actuellement au stade de démonstrateur industriel, pourront effectivement être mises en œuvre. Pour les cimenteries, il existe aujourd'hui plusieurs techniques de capture de CO2 envisagées, telles que l'absorption chimique par solvant (3), la postcombustion par boucle de calcium (4) ou l'oxycombustion (5). Une fois capturé, le CO2 serait ensuite transporté et stocké dans une formation géologique hors des cimenteries, au travers d'une infrastructure et d'un prestataire de services ad-hoc. Néanmoins, compte-tenu de la nécessité de se trouver proche d'un lieu de stockage, seulement 20% des cimenteries françaises pourraient mettre en place le CSC.
Au total, dans le scénario de référence de l'ADEME, grâce à l'Upgrading, au mix thermique et surtout au taux de clinker, l'industrie cimentière parviendrait à atteindre l'objectif de réduction de -35% de ses émissions de CO2 en 2030. En revanche, même en y ajoutant l'Incrémental et le CSC, l'industrie cimentière n'atteindrait que -54% de réduction d'émissions en 2050, soit nettement en deçà de l'objectif de -81%.
Pour parvenir à l'objectif de la SNBC de -81% en 2050, davantage d'investissements dans le CSC seront nécessaires
Pour atteindre l'objectif de -81% en 2050, l'ADEME envisage deux autres scénarios.
Dans le scénario dit de « sobriété », la demande diminuerait de -55% suite notamment à une baisse de la construction neuve résultant d'un objectif ZAN (zéro artificialisation nette des sols) appliqué à partir de 2030. Nous ne privilégions pas ce scénario car une réduction aussi forte de la construction neuve serait socialement très difficilement acceptable face à une démographie toujours en hausse.
Dans le scénario appelé « pari techno-push », des investissements supplémentaires permettraient notamment de développer le CSC pour atteindre l'objectif du SNBC en 2050. Dans ce scénario, la forte hausse du prix de CO2, qui atteindrait 181 €/tCO2, permettrait de rentabiliser davantage d'investissements réduisant les émissions de CO2. Il s'agit en fait d'un pari sur le développement de technologies innovantes pour parvenir à l'objectif, en particulier par le CSC.
Le cadre réglementaire et le prix de la tonne de CO2 émis seront déterminants pour déclencher les investissements nécessaires à la décarbonation du ciment
L'ADEME estime que le coût de production du ciment serait multiplié par trois sans investissement dans la décarbonation, et par deux avec les investissements nécessaires pour atteindre l'objectif SNBC de 2050. En fait, en augmentant à 181 €/t en 2050, le prix du CO2 émis rendrait rentables les investissements dans la décarbonation, en réduisant le prix à payer par les cimentiers pour leurs émissions de CO2. Toutefois, même avec des émissions réduites, le CO2 deviendra une composante majeure du coût de production du ciment, au travers des coûts : 1/ des émissions résiduelles après CSC, 2/ de transport et de stockage CSC et 3/ des amortissements des investissements de décarbonation.
Bien entendu, ces prévisions supposent un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF) efficace et permettant le maintien de la production de ciment en France. En effet, ce cadre réglementaire doit empêcher les « fuites de carbone », sans quoi les cimentiers pourraient facilement éviter d'émettre du CO2 en France en important du clinker, ce qui rendrait inutiles les investissements de décarbonation.
Le doublement du prix du ciment avec la décarbonation n'aura pas d'impact important sur le BTP
Le ciment est vendu environ 100 €/t en France, soit 0,10 €/Kg, ce qui en fait un matériau de construction particulièrement peu cher. La part du ciment représente ainsi moins de 1% du chiffre d'affaires du BTP en France. Par conséquent, la décarbonation du ciment en doublerait le coût, mais l'augmentation correspondante du prix du BTP serait inférieure à 1% à horizon 2050. Au total, la décarbonation représente un enjeu économique et technologique, à la fois majeur pour le ciment en France, et mineur pour le reste de la filière BTP en aval.
(1) CaCO3
(2) CaO
(3) Voir article sur la Capture et le stockage du carbone
(4) Réaction de carbonatation : CaO (s) + CO2 (g) → CaCO3 (s)
(5) L'utilisation de l'oxygène pur comme comburant à la place de l'air permet d'augmenter la concentration de CO2 dans les gaz d'échappement, facilitant ainsi sa capture.