Décarbonation N°2

#5 - Les couleurs de l'hydrogène

05.05.22

Malgré une structure très simple (deux atomes d'hydrogène et une seule liaison chimique), l'hydrogène, ou plus exactement le dihydrogène (H2), est une molécule complexe. Le dihydrogène est très réactif, ce qui explique sa très faible concentration dans l'atmosphère terrestre, de l'ordre de 0,5 particule par million (ppm). Sur la planète bleue, on trouve essentiellement l'hydrogène sous forme combinée, à l'oxygène dans l'eau (H2O), au carbone (hydrocarbures, certains alcools et acides) mais aussi plus rarement sous forme gazeuse dans le sous-sol. Il existe plusieurs types de dihydrogène selon que cet hydrogène sera exploité à partir de réserves naturelles ou extrait de molécules composées du premier élément chimique. L'origine et l'énergie nécessaire pour la production de dihydrogène déterminera le type de dihydrogène. La taxonomie de l'hydrogène utilise un code couleur pour désigner le type de dihydrogène en fonction de son empreinte environnementale pour le produire.

Les couleurs de l'hydrogène
Source : Infographie Crédit Agricole

L'hydrogène capté dans le sol est blanc

Hydrogène blanc
Source : Infographie Crédit Agricole

L'hydrogène blanc correspond à l'hydrogène formé naturellement dans le sous-sol terrestre. Très léger et capable de se diffuser à travers la plupart des couches terrestres (et même des métaux), cet hydrogène s'échappe et remonte souvent vers la surface de la terre. Il existe de nombreux lieux d'émanation d'hydrogène naturel dans le monde et même en France (1). Après la découverte de réservoirs d'hydrogène naturel comme celui au Mali découvert fortuitement en 1987, l'exploitation de grandes réserves d'hydrogène blanc suscite un intérêt grandissant. Avec des coûts d'exploitation susceptibles d'être inférieurs à 1 dollar par kg (2)(3), ces réserves d'hydrogène naturel permettraient de produire de l'hydrogène parmi les plus compétitifs.

Produit à partir de ressources fossiles, l'hydrogène peut être noir, brun, gris voire bleu

Hydrogène charbon-noir-brun-gris
Source : Infographie Crédit Agricole

À l'autre extrême du spectre, on trouve l'hydrogène noir et brun. L'hydrogène noir est l'hydrogène obtenu par gazéification du charbon, procédé le plus ancien pour la production d'hydrogène à l'échelle industrielle. La gazéification consiste à effectuer une combustion incomplète de matières carbonées ou organiques en présence de vapeur d'eau. On obtient alors un gaz de synthèse (ou syngaz), lui-même combustible et composé essentiellement de dihydrogène et de monoxyde de carbone (CO). Ce mélange, également connu sous le nom de gaz de ville, fut utilisé au XIXe siècle pour l'éclairage des rues. Sans système de récupération du carbone, la synthèse de l'hydrogène noir est très émettrice de CO2, avec près de 20 kg de CO2 émis par kg de dihydrogène produit. Lorsque le charbon est remplacé par du lignite (charbon de basse qualité) ou de la tourbe, on obtient alors de l'hydrogène brun, plus émetteur en CO2 que l'hydrogène noir. Aujourd'hui, la production d'hydrogène noir à partir de charbon est surtout concentrée en Chine (60% environ de la production d'hydrogène chinoise actuelle). Si on inclut l'oxydation partielle des coupes pétrolières, c'est 47% de la production mondiale d'hydrogène pur qui serait de l'hydrogène noir (4).

Hydrogène bleu
Source : Infographie Crédit Agricole

Le reste de l'hydrogène pur consommé aujourd'hui est essentiellement (environ 49%) obtenu par réformage du gaz naturel. La réaction entre le méthane (CH4) et la vapeur d'eau donne à haute température (> 800°C), pression modérée (20 à 30 bars) et en présence de catalyseur, l'hydrogène gris. Ce procédé est également très émetteur en CO2. Environ 10 kg de CO2 sont coproduits pour chaque kg de dihydrogène. Le coût de production de l'hydrogène gris est parmi les plus bas. Fin février 2021, quelques mois avant la fulgurante augmentation du prix du gaz naturel, le kilogramme d'hydrogène gris coûtait moins de 0,50 $ le kg aux États-Unis et près de 1,3 € le kg en Europe. Aujourd'hui après une augmentation du prix du gaz naturel en Europe de plus de 300%, ce même hydrogène gris coûte un peu plus de 0,60 $/kg aux États-Unis et près de 4 €/kg en Europe.

Si des unités de captation et de séquestration du dioxyde de carbone produit sont associées à la gazéification de matière carbonée ou au réformage du gaz naturel, alors l'hydrogène devient bleu. L'hydrogène bleu sera plus cher à produire et son coût dépendra de la proximité ou pas de « puits de carbone » où sera séquestré le dioxyde de carbone coproduit (5).

Avec l'électrolyse de l'eau, l'hydrogène devient vert, rose ou jaune

Hydrogène vert-jaune-rose
Source : Infographie Crédit Agricole

Connue depuis le 19e siècle, l'électrolyse de l'eau produit de l'hydrogène. Si elle est alimentée par de l'électricité verte, l'hydrogène formé par l'électrolyse de l'eau est vert. Cette technologie possède deux avantages : la possibilité de décentraliser la production d'hydrogène et les immenses ressources en hydrogène présentes dans l'eau. Avec de l'eau et un accès au réseau électrique ou à l'aide de quelques panneaux solaires, il est alors possible de produire de l'hydrogène n'importe où. L'électrolyse de l'eau relance l'espoir pour certains pays de réduire leur dépendance énergétique envers des pays tiers. Toutefois, cette indépendance énergétique dépendra beaucoup des ressources en énergies renouvelables (vent, rayonnement solaire) pour produire l'énergie électrique verte indispensable à la production de l'hydrogène vert. En effet l'électrolyse de l'eau est énergivore, et le coût de l'hydrogène en sortie d'électrolyseur dépendra à la fois du facteur de charge (ou taux d'utilisation de l'électrolyseur) et du prix de l'électricité verte. Considérant que l'électricité verte est la plus compétitive dans les régions avec de forts régimes de vent (Europe du Nord, Côtes nord-est des États-Unis) ou bénéficiant de forts rayonnements solaires (Europe du Sud, Afrique du Nord, Australie, Moyen-Orient), l'hydrogène vert sera aussi moins cher à produire dans ces régions. Aujourd'hui, un électrolyseur alimenté par de l'électricité provenant de panneaux solaires en Europe du Sud ou d'éoliennes offshore en Europe du Nord, produit un hydrogène vert à un coût de revient de 4 €/kg environ.

Si l'électricité qui alimente l'électrolyseur n'est pas d'origine renouvelable mais d'origine nucléaire alors l'hydrogène obtenu par électrolyse de l'eau est rose. Au prix de l'ARENH pour l'électricité (42 €/MWh), un électrolyseur alimenté en continu par de l'électricité d'origine nucléaire serait capable de produire un hydrogène rose au coût de revient situé autour de 3 €/kg.

L'hydrogène jaune désigne souvent l'hydrogène produit par électrolyse de l'eau lorsque l'électricité provient de diverses sources renouvelables et fossiles. C'est aussi la couleur de l'hydrogène lorsque l'électricité est uniquement d'origine solaire.

La pyrolyse plasma rend l'hydrogène turquoise

Un autre procédé de production d'hydrogène à partir de matière carbonée est la pyrolyse plasma. On obtient alors de l'hydrogène turquoise. Le principe de cette technologie est de décomposer la matière carbonée à très haute température (1 000 – 2 000°C) à l'aide d'un plasma thermique créé par un arc-électrique. L'avantage de cette technologie est l'absence de production de CO2 ou de gaz à effet de serre. Le carbone contenu dans la matière première est récupéré sous forme de noir de carbone, suie composée de carbone pur solide. Grâce à son excellente conductivité électrique et à sa résistance à l'usure, ce dernier sera un matériau de choix pour les nouvelles mobilités et les technologies digitales. Outre le fait que le noir de carbone est un composant essentiel dans la fabrication des pneus, le noir de carbone est aussi utilisé comme additif conducteur dans la fabrication de batteries lithium-ion pour les voitures électriques, et dans la fabrication d'emballages électrostatiques pour la protection du matériel électronique. L'autre avantage de cette technologie est une plus faible quantité d'énergie électrique consommée par quantité d'hydrogène produite (7 fois moins (6)) que l'électrolyse de l'eau. La pyrolyse plasma permet aussi de produire de l'hydrogène bas-carbone à partir de déchets urbains (recyclage de bouteilles plastiques) ou de biomasse. La pyrolyse est donc une technologie intéressante pour les pays avec d'importantes ressources en hydrocarbures, en biomasse et en énergies renouvelables pour produire l'électricité verte. C'est particulièrement le cas des États-Unis, et du Canada où plusieurs projets de production d'hydrogène turquoise sont à l'étude.

L'ensemble de ces technologies ont toutes montré leur faisabilité technique, ouvrant la voie à la réalisation d'unités commerciales. La compétitivité de ces technologies devrait s'améliorer grâce notamment aux économies d'échelle associées à l'essor de la filière hydrogène. Un industriel désireux de décarboner aura donc la possibilité de choisir l'hydrogène le plus avantageux en fonction de sa consommation, de sa localisation et du coût de l'hydrogène. Il est vraisemblable que le choix final de l'industriel sera le compromis entre la disponibilité et le coût du type d'hydrogène, blanc, bleu, vert, rose ou turquoise.  

(1) De l’hydrogène naturel a été par exemple identifié dans le Bugey
(2) Connaissance des Énergies, L’Hydrogène naturel : curiosité géologique ou source d’énergie majeure dans le futur, 22 mai 2020.
(3) Le Soleil Numérique, Qui a peur de l’hydrogène naturel ?, 31 août 2021.
(4) https://www.connaissancedesenergies.org/fiche-pedagogique/hydrogene-energie
(5) Comme pour l’hydrogène gris, le coût de l’hydrogène bleu dépendra du prix du charbon, du pétrole ou du gaz naturel. Fin février 2021, l’hydrogène bleu produit à partir de gaz naturel coûtait environ 0,30 €/kg de plus que l’hydrogène gris en Europe. Aujourd’hui, ce même hydrogène bleu coûte 1,0 €/kg de plus que l’hydrogène gris, soit environ 5 €/kg.  
(6) https://www.polytechnique-insights.com/dossiers/energie/lhydrogene-vert-doit-encore-faire-ses-preuves/lhydrogene-turquoise-une-solution-viable-sans-co2/