Décarbonation N°2

#2 - Les défis colossaux de la décarbonation du secteur des mines et métaux

05.05.22

L'industrie minière et métallurgique est l'un des plus importants émetteurs de CO2, la production d'acier (6% des émissions mondiales) et celle d'aluminium (2%) représentant les plus gros enjeux. En Europe, la pandémie a entraîné la mise en place de plans de relance massifs de l'économie orientés vers la transition énergétique et la décarbonation avec des politiques climat renforcées. Les nouveaux objectifs européens de réduction des émissions de gaz à effet de serre sont très ambitieux : 55% de réduction à horizon 2030 par rapport à 1990 et « zéro émission nette » à horizon 2050. La forte croissance de la demande de métaux permettant la transition énergétique via leur utilisation dans des technologies bas-carbone nécessite d'augmenter leur production tout en réduisant simultanément les émissions de GES qu'elle génère : un enjeu majeur pour l'acier ou les métaux comme l'aluminium, le cuivre, le nickel…

Sous la pression croissante des gouvernements, des investisseurs, des clients et des ONG, les compagnies minières et métallurgiques se mobilisent pour tendre vers ces objectifs. Mais la réduction drastique des émissions dépend du développement long et coûteux de technologies de rupture et, pour les émissions indirectes, de la remise à plat de l'ensemble de la chaîne de valeur.

L'extraction et le traitement, principales étapes du cycle minier, présentent des enjeux de décarbonation élevés

Pour les grands groupes miniers, le transport qui recourt aux combustibles fossiles est, avec l'électricité, le premier poste d'émissions de gaz à effet de serre, représentant près de 40% des émissions globales. Les procédés de broyage/concassage et la pyrométallurgie (1) sont également des procédés très énergivores et émetteurs de CO2. La fusion et l'affinage (2) le sont aussi en fonction des sources d'énergie utilisées.

De nombreuses pistes de réduction des émissions peuvent être combinées

Ces pistes dépendent de la méthode d'exploitation minière, du type de métal, et de la source d'énergie. Leurs délais et moyens mis en œuvre varient grandement.

Une réduction rapide des émissions peut être réalisée via l'optimisation du pilotage des utilities (3) et des équipements grâce au Big Data et à l'Internet des objets (4) qui vise l'amélioration rapide de leur efficacité énergétique.

L'électrification des procédés ainsi que celle des véhicules et équipements miniers et la substitution de carburants fossiles par des biocarburants, voire à plus long terme par de l'hydrogène vert, est clé dans la décarbonation mais elle prendra du temps. Elle nécessite en effet d'adapter la conception des mines et de développer les énergies renouvelables à grande échelle. Le recours à ces dernières est à privilégier partout où la filière est développée. Des installations in situ peuvent assurer une partie des besoins énergétiques en local. À défaut, les sources d'énergies à base de charbon peuvent être remplacées par du gaz (5), lorsqu'il est disponible.

Le développement du recyclage des métaux, beaucoup moins émetteur de CO2, et leur utilisation croissante dans les procédés de production ainsi que le retraitement des résidus miniers permettront de réduire les consommations de matières premières primaires et énergétiques. Mais là aussi, le développement massif du recyclage prendra du temps et n'évitera pas l'extraction primaire.

La décarbonation de la métallurgie passera par des innovations de rupture

Leur mise en œuvre, qui vise à éliminer les émissions, nécessite des investissements et des délais importants pour atteindre le stade d'industrialisation. La plupart sont aujourd'hui testées à l'échelle de sites pilotes. C'est le cas du projet Elysis combinant des anodes inertes et la production d'énergie renouvelable pour produire de l'aluminium primaire vert. L'aluminium est actuellement issu de l'électrolyse de l'alumine, procédé très énergivore et émetteur de CO2 en raison de la consommation des anodes en carbone et de celle, importante, d'électricité, si cette dernière n'est pas décarbonée. De fait, il est trois fois plus polluant que le cuivre.

C'est aussi la perspective d'utiliser de l'hydrogène gazeux vert combiné au minerai de fer réduit (DRI) dans un four à arc électrique (EAF) pour la production d'acier vert (cf. "Encadré – La décarbonation de l'acier : un voyage long, difficile et coûteux") qui nécessitera la production massive d'électricité décarbonée. Ou encore la capture/stockage de CO2, technologie encore coûteuse et peu développée.

Par ailleurs, dans un contexte d'épuisement des ressources, les méthodes de mine à ciel ouvert et de pyrométallurgie (adaptée aux minerais à forte teneur) pourraient être supplantées par les mines souterraines et l'hydrométallurgie (6) moins consommatrice d'énergie et adaptée aux traitements de minerais à faible teneur.

Toutefois, lorsque les émissions sont difficiles à réduire, il reste la voie de la reforestation ou de la compensation carbone.

Le secteur des mines et métaux est bien engagé dans un processus de mutation accélérée. Mais les plans d'action et moyens mis en œuvre apparaissent encore insuffisants

En dépit d'avancées incontestables comme l'accélération des promesses de réduction des émissions, l'engagement de stopper et d'inverser la déforestation d'ici 2030 (7) pris par 137 pays couvrant 90% des forêts mondiales, et l'établissement des bases d'un marché mondial du carbone, le bilan de la COP26 reste mitigé. Ainsi, l'engagement d'abandonner l'exploitation du charbon (8) n'a pu être obtenu de la part des géants miniers que sont la Chine et l'Inde. Enfin, aucun plan d'action d'envergure n'a été défini pour permettre la livraison des métaux nécessaires à une transition énergétique accélérée et les investissements envisagés ne sont pas à la hauteur des défis.

Selon le cabinet McKinsey, l'ampleur des investissements à réaliser (250 à 350 milliards de dollars d'ici 2030 dans les secteurs du cuivre et du nickel) nécessitera une accélération par rapport aux projets actuels : le déficit d'offre par rapport à la demande pourrait alors atteindre 5 à 8 millions de tonnes de cuivre et près d'1 million de tonnes de nickel en 2030 dans un scénario de réchauffement climatique limité à 1,5°C.

Cela est sans compter les contraintes environnementales croissantes et les protestations de la société civile à l'encontre des projets miniers, qui conduisent à leur gel, voire leur abandon, comme cela a été le cas en Europe pour certains projets.

Le chemin vers la décarbonation s'avère donc difficile, long et coûteux. Les défis à relever sont colossaux, en matière d'investissements, de déploiement des technologies de l'information les plus avancées ou de disponibilité des technologies alternatives, des énergies propres dans des conditions économiques viables et des ressources (métaux primaires et recyclés). Enfin, l'acceptabilité sociale et environnementale des projets miniers restera un enjeu majeur qu'il conviendra de prendre en compte. C'est à ce prix que le développement du secteur des Mines & Métaux contribuera à la préservation de notre planète.

 

(1) Procédé thermique pour séparer et récupérer les métaux
(2) Purification des métaux
(3) Terme anglais qui regroupe les entreprises ou activités de production, de distribution ou de traitement d'eau, de gaz et d'électricité
(4) IoT (
Internet of Things)
(5)  L'utilisation du gaz permet de réduire les émissions des raffineries d'alumine de près de 30% par exemple.
(6) Technique de purification par la mise en solution des métaux
(7) Cela crée un défi majeur pour le secteur minier car la plupart des minéraux essentiels à la transition énergétique sont localisés dans des régions d'extrême diversité (e.g. l'extraction de minerai de nickel en Indonésie). Ainsi, les mineurs devront s'assurer de l'impact minimal de leur activité sur l'environnement et du respect des critères ESG.
(8) Si les principaux pays se sont engagés à ne plus financer les projets de charbon à l'international à partir de 2022, la Chine et l'Inde n'ont pas pris d'engagement pour leurs projets domestiques. Or, la Chine est responsable de 70% des émissions de GES générées par la production d'aluminium primaire en raison de la dominance du charbon comme source énergétique.