Décarbonation N°1

#5 - Géopolitique de l'énergie : qui va bénéficier de l'évolution du mix énergétique ?

25.10.21

Des réserves d'énergies fossiles concentrées qui entraînent une vulnérabilité des pays consommateurs

Les énergies fossiles ont joué un rôle clé dans l'économie et le développement de la société de consommation. Parmi ces énergies fossiles, le pétrole est non seulement utilisé pour la production des carburants qui assurent la quasi-totalité de nos déplacements mais certains de ses dérivés constituent la base des plastiques que l'on retrouve dans de très nombreux biens de consommation. La croissance économique mondiale au cours des vingt dernières années a été accompagnée d'une forte hausse de la demande de pétrole : entre 2000 et 2019, elle a en effet augmenté de 20%, près de la moitié de la hausse étant due à la croissance de la demande chinoise.

Toutefois, les réserves de pétrole, de gaz naturel ou de charbon sont géographiquement mal distribuées et sont source d'une très forte dépendance et d'une vulnérabilité d'un grand nombre de pays consommateurs envers un petit nombre de pays producteurs. Les chocs pétroliers de 1973 et 1979 illustrent parfaitement ce phénomène et ont mis un terme à la croissance économique des « trente glorieuses ». Les énergies fossiles représentent donc une arme économique et géopolitique de tout premier plan. L'histoire est en effet longue du rôle géopolitique joué notamment par le pétrole au cours du XXe siècle.

Décarbonation ne signifie pas fin de la géopolitique de l'énergie

La fin programmée des énergies fossiles, prévue par la décarbonation de l'économie, est logiquement perçue comme un moyen permettant aux pays consommateurs d'énergies fossiles de gagner en autonomie énergétique. La décarbonation permettrait également de mettre un terme aux effets pervers de la rente pétrolière sur l'économie et la société des pays producteurs. Cependant, il n'est pas sûr que la décarbonation marque la fin de la géopolitique de l'énergie.

Comme tous les pays sont plus ou moins ensoleillés et ventés, chaque pays sera capable de produire une partie de l'énergie nécessaire au fonctionnement de son économie. Aucun pays ne devrait rester dépendant à 100% d'importations énergétiques pour sa fourniture d'énergie primaire comme cela est le cas aujourd'hui. Toutefois, si l'indépendance énergétique devrait progresser pour l'ensemble des pays, la décarbonation ne peut assurer l'indépendance énergétique de tous. Comme pour les énergies fossiles, les grandes ressources d'énergies renouvelables ne sont pas distribuées équitablement.

Russie, Moyen-Orient, Afrique du Nord, Australie bénéficient de ressources en énergies renouvelables abondantes

POTENTIEL PHOTOVOLTAÏQUE

Source : Global Solar Atlas

Source : Global Solar Atlas (1)

POTENTIEL ÉOLIEN

Source : Global Solar Atlas

Source : Global Wind Atlas (2)

Les régions situées entre les parallèles ± 15° bénéficient de relativement peu de vent et n'ont pas un potentiel solaire très affirmé. À l'inverse, les pays situés dans les régions subtropicales profitent d'un fort ensoleillement et, près des côtes, jouissent souvent d'un régime de vent favorable. Les pays situés à des latitudes plus élevées, peuvent également bénéficier, près des côtes, de régimes de vent favorables, mais l'ensoleillement est réduit.

Le potentiel de production d'énergies solaire et éolienne pour un pays dépend aussi de sa surface. Ainsi, la Russie possède un important gisement d'énergie éolienne terrestre et solaire grâce à sa gigantesque superficie. Le Moyen-Orient, l'Afrique du Nord ou l'Australie, grands exportateurs d'énergies fossiles, possèdent aussi d'importantes ressources en énergies renouvelables et surtout solaires.

L'Europe, les États-Unis, le Japon, la Corée du Sud ou la Chine resteront dépendants sur le plan énergétique

L'Europe, les États-Unis, le Japon, la Corée du Sud ou la Chine, malgré leurs ressources solaires, éoliennes ou en biomasse, pourraient bien être incapables d'être totalement autonomes sur le plan énergétique du fait de l'électrification de nombreux secteurs tels que le transport ou le chauffage résidentiel. Ces pays devraient donc continuer à importer une partie de l'énergie qu'ils consomment.

Toutefois, les énergies renouvelables à l'exception de la biomasse ne peuvent pas être transportées sous leur forme primaire (irradiations, vents). Elles devront être transformées en électrons ou bien en un autre vecteur énergétique tel que l'hydrogène pour être acheminées d'un pays à un autre. Il est certes envisageable d'installer de grandes lignes électriques depuis l'Afrique du Nord ou même la Russie pour alimenter l'Europe. Sur de plus grandes distances, l'utilisation de l'hydrogène et ses dérivés est aujourd'hui envisagée dans l'ensemble des scénarios bas carbone.

Des ressources en eau douce souvent insuffisantes pour que les pays producteurs d'hydrogène puissent exporter vers les pays consommateurs d'énergie

Pour produire de l'hydrogène par électrolyse ou peut-être par photocatalyse (3) dans un avenir plus lointain, il faut de l'eau dont la valeur stratégique risque de se renforcer dans les prochaines décennies. Pour devenir un exportateur d'hydrogène, un pays devra non seulement bénéficier d'un fort potentiel d'énergies renouvelables mais aussi d'un accès à de grandes réserves d'eau.

La répartition des ressources en eau est déséquilibrée. Le Moyen-Orient, l'Afrique du Nord, l'Australie, ou le Chili possèdent un fort potentiel solaire et éolien. Malheureusement l'accès à l'eau douce y est difficile. Ces régions sont particulièrement arides et doivent aussi faire face à des besoins croissants en eau douce pour leur population, leur agriculture et leurs industries.

L'accès à la mer est un atout pour quelques pays

L'Australie, l'Afrique du Nord et le Chili pourraient devenir plus arides si le réchauffement climatique excède 2°C. Toutefois, l'accès à l'eau de mer grâce à leurs littoraux devrait permettre à ces pays de produire l'eau nécessaire à la production d'hydrogène, au prix toutefois d'une perte d'efficacité énergétique et d'une augmentation des coûts de production. Le Moyen-Orient, l'Afrique du Nord, l'Australie et le Chili devraient donc être privilégiés pour la réalisation d'infrastructures d'exportation d'énergies renouvelables. Les annonces récentes de méga-projets d'hydrogène semblent confirmer cette préférence des industriels et investisseurs pour ces régions.

 

(1) Map obtained from the Global Solar Atlas 2.0, a free, web-based application developed and operated by the Solargis s.r.o. on behalf of the World Bank Group, utilizing Solargis data, with funds provided by the Energy Sector Management Assistance Program (ESMAP). For additional information: https://globalsoalratlas.info
(2) Map obtained from the Global Wind Atlas 3.0, a free, web-based application developed, owned and operated by the Technical University of Denmark (DTU). The Global Wind Atlas 3.0 is released in partnership with the World Bank Group, utilizing data provided by Vortex, using funding provided by the Energy Sector Management Assistance Program (ESMAP). For additional information:
https://globalwindatlas.info
(3) La décomposition de l'eau en molécules d'hydrogène (H2) et d'oxygène (O2) par photocatalyse consiste à utiliser des photons suffisamment énergétiques pour craquer les molécules d'eau (H2O).