La concrétisation des trajectoires "Net Zéro" dépendra du développement des nombreuses innovations technologiques
Dans son sixième rapport, le GIEC décrit les conséquences climatiques selon cinq scénarios de réchauffement. Si l'un de ces scénarios considère la possibilité d'un réchauffement contenu à 1,5°C grâce à la capture d'importantes quantités de CO2, le GIEC ne précise pas comment y parvenir et quelles technologies seront nécessaires. D'autres organismes de premier plan (1) ont récemment publié leurs scénarios « Net Zéro » en détaillant leurs hypothèses technologiques qui devraient permettre à l'humanité d'atteindre la neutralité carbone en 2050. Tous ces scénarios reposent sur les mêmes grands principes : gains énergétiques, intensification de l'électrification grâce aux énergies renouvelables, et développement de la bioénergie, de l'hydrogène et des puits de carbone, seul moyen pour réduire la concentration en CO2 dans l'atmosphère. Souvent relayés et simplifiés par les médias, ces scénarios « Net Zéro » pourraient suggérer à un public non averti que le chemin vers la neutralité carbone est accessible sans obstacle technologique majeur. Il n'en est malheureusement rien. La concrétisation des trajectoires « Net Zéro » dépendra du développement des nombreuses innovations technologiques.
Encore au stade de prototypes ou de pilotes dans les secteurs de l'hydrogène, de la bioénergie, des matériaux isolants et de la séquestration du CO2 directement prélevé dans l'atmosphère, ces technologies devront devenir techniquement, industriellement et commercialement viables dès la prochaine décennie. Les économies d'échelle souvent avancées pour baisser les coûts de production ne suffiront pas. Les enjeux de ces technologies sont bien connus par l'ensemble des gouvernements. Suite à la COP21, 23 pays se sont engagés à coopérer pour accélérer leurs développements dans le cadre des accords « Mission Innovation ».
Six technologies à enjeux pour réussir la décarbonation de l'économie
LES ÉLECTROLYSEURS & PILES À COMBUSTIBLES
Les scientifiques et industriels devront trouver de nouveaux matériaux pour améliorer les performances techniques des électrolyseurs et des piles à combustibles. Sans progrès technologiques, l'hydrogène ne saurait être le pilier de la décarbonation de l'industrie et du stockage de l'électricité. Avec 90% de l'électricité produite à partir d'énergies renouvelables en 2050 selon les différents scénarios « Net Zéro », le stockage de l'électricité devient crucial. La conversion de l'électricité en hydrogène constituerait une des pierres angulaires de ce stockage. Les électrodes et les membranes font donc l'objet d'importants efforts de recherche et développement afin d'augmenter la puissance et la durée de vie, tout en diminuant le coût de production des électrolyseurs et des piles à combustibles.
LES ALGUES COMME SOURCE DE BIOCARBURANTS
Pour que les biocarburants connaissent l'important développement que les scénarios leur destinent, il sera nécessaire que la matière organique dont ils seront issus ne soit pas prélevée au détriment de l'alimentation. Outre la conversion de déchets organiques, insuffisants pour produire les volumes de biocarburants nécessaires, les chercheurs et industriels doivent donc trouver des matières organiques abondantes, durables, accessibles, et non utilisées dans l'alimentation. De nombreux espoirs reposent aujourd'hui sur les algues comme matière première organique pour le développement de biocarburants de 3e génération.
DIOXYDE DE CARBONE : SUPPRESSION ET ÉMISSIONS NÉGATIVES
Le développement de puits de carbone devient de plus en plus urgent. Selon le GIEC et sur la base d'une probable augmentation de la température de 1,5°C dès 2030, la capture et la séquestration de CO2 présent dans l'atmosphère deviennent un moyen urgent et incontournable pour maintenir un réchauffement sous 1,5°C. Cependant, une des difficultés technologiques et commerciales des puits de carbone est de concentrer le CO2 contenu dans les différents effluents avant séquestration. Cette étape de concentration est indispensable pour parvenir à prélever plus de 7 gigatonnes de CO2 (représentant un peu plus de 20% des émissions actuelles) en 2050.
BATTERIES POUR VÉHICULES ÉLECTRIQUES
Parvenir à l'imposante flotte de voitures électriques (environ 1,5 milliard de véhicules à l'horizon 2050) nécessaires pour décarboner le transport routier ne pourra pas reposer uniquement sur le développement d'un réseau dense de bornes de recharge. Des progrès technologiques doivent encore être réalisés sur les batteries et notamment sur leur temps de recharge et leur densité énergétique afin d'augmenter leur autonomie. La recherche est très dynamique aujourd'hui comme en attestent les annonces faites régulièrement par des start-up. Toutefois, il est encore trop tôt pour confirmer si ces nouvelles batteries aux performances améliorées seront commercialisées à grande échelle.
ÉOLIEN EN MER
L'électrification de l'économie va s'intensifier avec notamment le développement de l'éolien en mer, fixe dans un premier temps puis flottant dans un second temps. Ce dernier devrait connaître un très fort essor après 2030. Ce délai doit être mis à profit par les acteurs pour relever un certain nombre de défis technologiques. Outre les défis liés à la stabilité des flotteurs sur lesquels seront posées des turbines de plus en plus puissantes et hautes, les acteurs de l'éolien en mer devront aussi apporter des solutions au transport de l'électricité à partir de fermes éoliennes flottantes éloignées des côtes, et à la maintenance sur site de ces fermes.
LA CYBERSÉCURITÉ
Les trajectoires « Net Zéro » reposeront aussi sur les progrès en sécurité informatique des systèmes. Avec l'intensification de l'électrification dans tous les secteurs, les économies deviendront de plus en plus dépendantes de leurs réseaux électriques et exposées à toute cyberattaque. La cyberattaque contre la société Colonial Pipeline aux États-Unis a montré le rôle capital des systèmes informatiques et de leur sécurité dans la gestion des infrastructures énergétiques. Avec une part de l'électricité dans la consommation finale d'énergie qui devrait significativement augmenter de 20% en 2020 à 50% en 2050, la sécurité des systèmes informatiques associés aux réseaux électriques deviendra une préoccupation majeure de la sécurité nationale.
Des développements sur un rythme encore jamais vu, nécessitant un gigantesque effort de recherche et développement
Alors que les émissions en CO2 ont augmenté à un rythme annuel moyen de 2% ces vingt dernières années, les émissions en carbone devront décroître au rythme de 8% minimum par an ces deux prochaines décennies pour respecter une trajectoire « Net Zéro » en 2050. Après 2030, la réduction moyenne des émissions devra s'accélérer grâce notamment aux innovations technologiques dont dépendent 50% des réductions des émissions en CO2. Ces technologies devront être développées en des temps records, bien inférieurs à ce que le secteur de l'énergie a pu connaître jusqu'à présent. L'Agence Internationale de l'Énergie estime que les délais de développement des technologies nécessaires à la décarbonation de l'économie devront être 20% inférieurs au délai le plus court connu dans le secteur de l'énergie (ampoules LED), et 40% inférieurs au délai de développement des panneaux photovoltaïques.
Malgré toutes les difficultés, la société est condamnée à surmonter l'un des plus grands défis technologiques, industriels et financiers, après peut-être la conquête spatiale. Cette fois-ci, l'énorme effort de recherche et développement ne se fera pas par choix, ou par esprit d'aventure, mais par nécessité. Il exigera d'énormes capitaux et une très étroite coopération entre industriels, laboratoires de recherche et gouvernements.
Comme pour les vaccins contre la Covid-19, la décarbonation de l'économie exigera de l'ensemble des acteurs économiques une plus grande prise de risques. Il est alors vraisemblable que les institutions financières et les banques soient amenées à prendre des engagements sur des technologies « non prouvées » ou avec un faible retour d'expérience.
Focus - Les technologies du nucléaire
Avec une part d'environ 10% de la production mondiale d'électricité, le secteur du nucléaire représente une technologie qui reste minoritaire et utilisée dans un nombre limité de pays. Pour autant, cette technologie tient une place très importante dans plusieurs pays, voire fait l'objet d'investissements très significatifs. En effet, le nucléaire fait partie des outils disponibles pour décarboner la production d'énergie et son usage, voire son développement, sont souvent retenus dans les scénarios de zéro émission net. Cette technologie est, de fait, considérée comme pouvant contribuer à la neutralité carbone à l'horizon 2050, son emploi variant selon les pays.
Aujourd'hui, plusieurs technologies sont proposées ou envisagées : celles des réacteurs de 3e génération (Génération III/III+, par exemple de type EPR) en cours de déploiement, celles des réacteurs de 4e génération, à l'état de recherche. En termes de taille, si les réacteurs actuels atteignent des puissances élevées (jusqu'à 1,6 GW), on voit apparaître des réacteurs de plus petites dimensions (Small Modular Reactors – SMR) qui sont encore souvent à l'état de projet ou de développement. Avec une puissance notablement inférieure à celle des réacteurs en service (en général moins de 300 MW), ces derniers pourraient s'adapter à davantage de réseaux électriques et contribuer aussi à la production de chaleur ou d'hydrogène (dans des versions de 4e génération par exemple). Ces petits réacteurs ont fait l'objet d'une attention dans le cadre du plan France 2030.
(1) Agence Internationale de l’Énergie (AIE), International Renewable Energy Agency (IRENA), BloombergNEF