Décarbonation N°2

#6 - Agir à la source : la capture du carbone

05.05.22

Le Carbon Capture & Storage (CCS) (1), qui consiste à capturer le CO2 produit par les installations industrielles et énergétiques pour le stocker, est un des piliers pour atteindre un objectif de neutralité climatique en 2050. Environ 8 milliards de tonnes de CO2 (8 GtCO2) devront alors être retirées de l'atmosphère ou empêchées de l'atteindre chaque année, l'équivalent des émissions actuelles de l'Inde, des États-Unis et du Brésil combinées liées à l'énergie.

Le CCS contribue à cet objectif de plusieurs façons :
-    en diminuant la quantité de CO2 émise par les installations ;
-    en réduisant les émissions « irréductibles » (par exemple, le CO2 émis par la réaction chimique nécessaire à la fabrication du ciment) ;
-    en permettant des émissions « négatives » : si on en capture les émissions, la quantité de CO2 libérée dans l'atmosphère par la combustion de biomasse est inférieure à la quantité de CO2 absorbée lors de la formation de cette biomasse.

Capturer le carbone : comment, et à quel prix ?

La capture du CO2 est l'étape la plus complexe et la plus coûteuse du CCS. Elle implique de séparer le CO2 du reste des fumées, en l'absorbant dans un solvant ou l'adsorbant (2) sur une surface, ou en faisant passer les fumées à travers un filtre (séparation membranaire).

L'absorption dans un solvant, méthode la plus utilisée, permet de capter 90% du CO2. À la phase d'absorption suit la phase de régénération du solvant, qui permet de libérer le CO2 pour le stocker, mais également de réutiliser le solvant.

Les méthodes de CCS coûtent d'autant plus chères que les fumées sont faiblement concentrées en CO2 : le captage a un coût allant de quelques dollars/tCO2 (production de bioéthanol) à environ 125$/tCO2 (certaines usines sidérurgiques).

La réduction des coûts de captage pour les fumées faiblement concentrées est donc indispensable pour assurer la rentabilité économique du procédé. Différentes entreprises travaillent au développement de procédés d'absorption, adsorption et de membranes moins coûteux. En France, ArcelorMittal et TotalEnergies ont annoncé la mise en service du démonstrateur « 3D » (pour DMX TM (3) Demonstration in Dunkirk) qui utilise un solvant développé par IFP Énergies Nouvelles et dont les propriétés devraient permettre de réduire de 35% les coût de captage et de séparation, pour atteindre environ 30-40€/t.

Encadré-art6-Capture-directe-du-carbone
Source : Infographie Crédit Agricole

Que faire de tout ce CO2 ?

L'acheminement du CO2 est techniquement similaire à celui d'un autre gaz et utilise les mêmes vecteurs (camions, navires, pipelines).

En revanche, les usages du CO2 capturé, et les marchés associés, ne sont pas assez développés pour représenter des débouchés crédibles et la seule solution est actuellement de le stocker dans un réservoir géologique. Ironiquement, le CO2 capturé par CCS peut être utilisé pour la récupération assistée du pétrole (4) : le gaz sous pression facilite l'extraction du pétrole, et environ 50% du CO2 reste ensuite prisonnier sous le sol, le reste étant capté et réinjecté.

Des volumes titanesques de CO2 devront être captés et stockés à l'avenir. Une étude de fin 2021 (5) estime le potentiel de stockage à 2 100 GtCO2, la majorité étant constituée d'aquifères salins, c'est-à-dire des roches sous-terraines poreuses contenant de l'eau salée.

Pour stocker le CO2, deux solutions sont possibles selon que ces roches réagissent chimiquement avec le CO2 ou non.

Dans ce dernier cas, le CO2 est injecté sous forme « supercritique » (à une température et une pression telles qu'il se comporte à la fois comme un liquide et un gaz), plus dense que la forme gazeuse, donc permettant de stocker un plus grand volume, sous une roche imperméable pour bloquer les remontées vers la surface.

Dans le cas de roches réagissant avec le CO2, il se dissout dans l'eau injectée : le CO2 et l'eau réagissent avec les roches, provoquant la minéralisation du CO2 sous forme de carbonates.

Les méthodes les moins chères permettant de stocker de grandes quantités de CO2 ont un coût grossièrement évalué à 7-30$/tCO2.

Capture et stockage de CO2
Source : Infographie Crédit Agricole

De nombreux projets en cours et à venir

L'Agence internationale de l'énergie (AIE) estime qu'en 2021, les capacités de capture du CO2 par CCS représentaient environ 40 millions de tonnes de CO2 (40 MtCO2, soit 0,040 GtCO2) par an. Si le nombre d'installations en service augmente lentement depuis 2010 (d'une dizaine à une trentaine), l'année 2021 a connu une explosion du nombre d'installations annoncées et en développement, nourrissant l'espoir d'une accélération du nombre de mises en service au cours des dix prochaines années.

La 1re installation mondiale de CCS date de 1972 et est toujours en utilisation aux États-Unis. Le CO2 est capturé dans les émissions d'une usine de traitement du gaz naturel, mais est utilisé pour faciliter l'extraction de pétrole ! En Europe, la première installation date de 1996, sur le site de Sleipner au large de la Norvège : une partie du CO2 produit par le champ gazier est capturée et stockée dans un aquifère sous le fond marin. Depuis le début du projet, environ 20 MtCO2 (0,020 GtCO2) ont été stockées. Les trois quarts de la trentaine d'installations de capture du CO2 actuellement en service ont pour finalité la récupération assistée du pétrole, mais la centaine d'installations prévues devraient toutes utiliser le stockage géologique.

En plus des installations intégrant capture et stockage, une trentaine de projets de réseaux de transport et de stockage, qui permettront de relier différentes installations à des lieux de stockage, sont opérationnels ou en cours de développement. Au Canada, l'Alberta Carbon Trunk Line (ACTL) transporte par pipeline du CO2 capté au niveau d'une raffinerie et d'une usine d'engrais et l'utilise pour de la récupération assistée de pétrole. En 2024, le projet Northern Lights, porté par TotalEnergies, Equinor et Shell, devrait permettre de stocker au large de la Norvège environ 1,5 MtCO2 (0,015 GtCO2) par an, capturés notamment au niveau d'une cimenterie et d'un incinérateur et transporté par bateau et pipeline, dans le cadre d'un projet plus vaste du gouvernement norvégien.

Notablement, ce sont des groupes du secteur pétrolier ou gazier qui sont souvent porteurs des projets de CCS : leur expérience en chimie (pour les solvants), en exploration et en extraction (pour le stockage, qui est vulgairement une extraction inversée), constitue pour eux un avantage dans ce domaine émergent et leur offre un nouveau positionnement dans un monde de moins en moins pétrolier.

Bien qu'elle soit aujourd'hui surtout utilisée pour capter du CO2 servant in fine à extraire du pétrole, la CCS devrait permettre aux industries de réduire leur empreinte carbone globale. Elle autorisera le prolongement de la durée d'utilisation d'installations polluantes (en captant une bonne partie de leurs émissions), réduisant les besoins d'investissements pour leur remplacement. Ce dernier point est d'autant plus important que certaines installations polluantes sont relativement récentes, donc pas encore amorties, et que nombreuses sont celles qui sont indispensables au bon fonctionnement de l'industrie (par exemple, les centrales thermiques qui permettent d'équilibrer les réseaux électriques). À plus long terme, on peut également espérer que les usages du CO2 capturé se développeront, par exemple pour la production de carburants « propres », au sens où ils n'émettront que du CO2 ayant été capturé pour leur synthèse.

Néanmoins, si les projets de CCS ne peuvent qu'être des pas dans la bonne direction, il est clair que les masses de CO2 capturées et stockées sont encore largement insuffisantes pour espérer atteindre les volumes envisagés par les différents scénarios de neutralité climatique à 2050. La montée en puissance de ces méthodes nécessitera des investissements colossaux, mais qui sont finalement bien peu de chose face aux coûts qui seraient nécessaires au remplacement rapide de toutes les installations actuelles par des installations propres, sans parler du coup des dégâts dus au changement climatique.

 

(1) CCUS si on y ajoute Usage
(2) Fixation d'atomes ou de molécules sur une surface solide depuis une phase gazeuse ou liquide
(3) Le nom du solvant
(4) Enhanced Oil Recovery, EOR
(5) Wei et al. (2021), "A proposed global layout of carbon capture and storage in line with a 2 °C climate target", Nature Climate Change 11, 112–188. https://doi.org/10.1038/s41558-020-00960-0