Décarbonation N°2

#8 - Empreinte carbone : les enjeux du numérique

05.05.22

Un monde en pleine mutation numérique

L'essor des smartphones et des tablettes a durablement transformé les usages des utilisateurs. L'émergence du cloud computing (1)  et des centres de données ou data centers, n'a fait qu'accélérer ce phénomène en l'étendant aux entreprises et à la société toute entière, révolutionnant et transformant les modes de travail et le paysage numérique.  

Ces dernières années, la disponibilité et l'acquisition des données en masse, l'accroissement considérable des capacités de stockage et la démultiplication de la puissance de calcul ont redynamisé l'intelligence artificielle et permis l'analyse approfondie des données.

Ainsi, la data se retrouve au cœur de cette mutation numérique et de tous les enjeux, qu'ils soient économiques, sociétaux, industriels, environnementaux, voire politiques.

Tous les secteurs d'activités bénéficient de ces innovations technologiques et s'inscrivent dans cette tendance de la transformation numérique à l'image des télécoms, de l'énergie, de la banque-assurance, de l'agriculture, de la santé, du e-commerce, ou de l'industrie 4.0.

Pourquoi le cloud et les data centers sont-ils incontournables ?

Vouloir accéder aux services et aux données où que l'on se trouve, à tout moment, sur tous types de terminaux, impose une interaction en mode cloud. Les développements plus récents du Edge Computing ou la possibilité de traiter la data au plus près de sa source et des utilisateurs, l'avènement de la 5G, la prolifération des objets connectés ou IoT, et autres nouveaux usages qui se profilent à l'horizon, tous poussent à accroître de manière significative, les besoins en stockage, capacité de calcul, transmission de données. À ce jour, seuls les data centers et le cloud permettent d'y répondre.

Cloud : Services dématérialisés grâce à des infrastructures réelles

Bien que le cloud désigne un mode de fonctionnement dématérialisé de services, celui-ci repose sur un socle d'infrastructures et d'équipements réels télécoms et IT, y compris les terminaux.

Cloud computing - Equipements infrastructures
Source : Infographie Crédit Agricole, adaptée du schéma de TheGreens/EFA

Un data center comprend généralement une partie informatique ou IT constituée de salles informatiques équipées de baies dans lesquelles sont installés des serveurs et autres équipements permettant le stockage, le calcul et la transmission des données. L'autre partie regroupe tous les équipements destinés au fonctionnement du data center lui-même et de ses salles informatiques comme l'alimentation électrique et les systèmes de climatisation.  

Aussi, la croissance de l'utilisation des data centers et du fonctionnement en mode cloud, tant par les particuliers que par les entreprises, induit un recours accru à des infrastructures physiques et se traduit par une consommation énergétique accrue.

Si l'on ajoute à cela les terminaux des utilisateurs sur lesquels ces services sont accessibles, l'empreinte environnementale globale du numérique n'est pas négligeable.

Empreinte environnementale du numérique

La quantification des impacts du numérique sur l'environnement ou « l'empreinte carbone » du numérique, correspond à la mesure des émissions de gaz à effet de serre ou GES, résultant de la production et de l'usage des technologies numériques. Cela reste encore un exercice complexe tant cet univers du numérique constitué de terminaux (2), de réseaux d'infrastructures, de data centers et autres équipements IT est vaste.

Les derniers résultats au niveau mondial et de la France, issus d'un modèle développé par le collectif GreenIT.fr, reposent sur une méthodologie d'analyse de cycle de vie (ACV) s'appuyant sur quatre indicateurs environnementaux. Ces indicateurs sont considérés comme les plus pertinents, même s'ils ne reflètent que partiellement l'empreinte environnementale du numérique :

•    Énergie primaire (EP, exprimée en kWh) : il s'agit de l'énergie nécessaire à la production de l'énergie finale.
•    Émission de gaz à effet de serre (GES, en kg eq. CO2) contribuant au réchauffement global.
•    Consommation d'eau (en litre ou m3 d'eau bleue) : l'eau douce potable est la seconde ressource physiologique de base essentielle à la vie des êtres humains et des autres espèces sur terre, juste derrière un air respirable.
•    Épuisement des ressources abiotiques (3) (ADP (4) , en kg équivalent antimoine (5) ou kg eq. SB).

Emprunte carbone numerique-Monde2019
Source : Infographie Crédit Agricole
Empreinte carbone numérique-France 2020
Source : Infographie Crédit Agricole, adaptée du schéma de GreenIT.fr

La consommation électrique (en kWh) n'est pas un indicateur pertinent, mais est souvent indiquée. Au niveau mondial, elle s'élève pour le numérique à 1 300 TWh et à 40 TWh pour la France, soit 5,5% et 8,3% de la consommation électrique totale respectivement.

Les terminaux pèsent davantage sur l'empreinte carbone du numérique

L'impact potentiel sur l'environnement de chacun des éléments de la chaîne de valeur du cloud est plus marqué au niveau des terminaux :

Effets environnementaux-Cloud computing
Source : Infographie Crédit Agricole, adaptée du schéma de TheGreens/EFA

En France, en 2020, l'empreinte carbone des terminaux / équipements connectés était près de trois fois supérieure à celle des data centers. Sur les bases d'un scénario central du rapport du Sénat (juin 2020) (6), le poids de ces terminaux/équipements connectés dans l'empreinte carbone du numérique en France pourrait doubler d'ici 2040. Les data centers sont donc énergivores, mais dans une moindre mesure. Pour eux néanmoins, l'enjeu est également de contenir leurs émissions.

La production des équipements représente  37% de l'empreinte carbone mondiale du numérique

Tout équipement utilisé dans les infrastructures permettant de fournir les services numériques est constitué de composants qui requièrent des matières premières qui sont toutes non renouvelables. On y trouve des métaux rares, des terres rares, des métaux non ferreux.

Ainsi, le processus de fabrication des équipements informatiques et électroniques, y compris les terminaux, nécessitant l'extraction et le raffinage des matières premières pour la production des composants, est loin d'être neutre en termes d'impacts environnementaux.

Processus production-Numérique
Source : Infographie Crédit Agricole, adaptée du schéma de TheGreens/EFA

La phase de production des équipements pèse ainsi pour 37% de l'empreinte carbone du numérique au niveau mondial en 2019. La phase d'utilisation pèse pour 63% et les terminaux, en particulier, y occupent une part prépondérante avec 38%.

Le numérique en solution de la décarbonation

Le besoin croissant en traitement de données, en puissance de calcul et services numériques entre aujourd'hui directement en conflit avec la nécessité de décarboner nos économies, un postulat valable pour tous les secteurs industriels. Paradoxalement, les nouvelles technologies permettent également d'améliorer considérablement l'empreinte carbone de toutes les industries en raison de l'efficience qu'elles permettent dans la conduite des processus industriels. À ce titre, le budget à long terme de l'Union européenne comprend une composante dédiée au numérique (12,3%).

Ce défi du numérique en solution de la décarbonation, qui démarre dès la conception de la puce électronique et des processeurs, consiste à concevoir des composants et des équipements toujours plus performants tout en maintenant une efficacité énergétique élevée. Ainsi, les data centers constituent l'exemple même d'une structure dans la chaîne de valeur du cloud computing qui recherche constamment à améliorer sa consommation énergétique en agissant sur les principaux leviers suivants :

Leviers amélioration consommation data centers
Source : Infographie Crédit Agricole

Il s'agit donc d'une course de vitesse entre les besoins croissants des entreprises et industriels notamment et une amélioration de l'efficacité énergétique ou carbone des produits proposés par l'industrie du numérique. Cela passe plus généralement par une conception des équipements et data centers qui limitent leurs émissions sur leur durée de vie (approche cycle de vie).

Concernant l'objectif de « zéro émission nette » en 2050, induit par l'Accord de Paris, on constate que la plupart des acteurs majeurs du numérique s'engagent à réduire leur empreinte carbone à zéro dans des délais plus courts, à 2030 ou avant. On note aussi une dynamique autour d'un numérique responsable et d'une sobriété numérique. En France, les lois Anti-gaspillage et économie circulaire (AGEC) visent à réduire l'empreinte environnementale du numérique (REEN), et au niveau européen, la résolution du Parlement européen de novembre 2020 promet d'aller "Vers un marché unique durable pour les entreprises et les consommateurs".

(1) ou cloud. Accès à des ressources informatiques (données, logiciels, infrastructures) en mode dématérialisé ou dans le nuage.
(2) Ordinateurs, smartphones, tablettes, TV, imprimantes, consoles de jeux, objets connectés.
 (3) Ressources naturelles non renouvelables qui se trouvent dans l’environnement (eau, sol, minéraux, etc.), qui ne sont pas créées ou produites par l’homme ou l’activité humaine.
(4) Abiotic Depletion Potential
(5) Elément chimique (Sb) dont les propriétés sont intermédiaires entre celles des métaux et des non métaux.
(6) https://www.senat.fr/notice-rapport/2019/r19-555-notice.html